Avant, mon bureau avait une vue sur la Seine. Mais avant, c'était avant. A l'époque, déjà, j'étais sur le départ...
"De mon bureau on peut admirer couler la Seine.
C’est assez captivant et ce spectacle fait souvent échapper un commentaire à mes visiteurs lors de leur arrivée : quelle vue ! que c’est beau !
Ils me donnent l’impression de jouir d’un privilège exceptionnel mais en fait, ce bureau, je l’ai eu un peu par hasard.
Avant d’occuper ce lieu, je ne connaissais pas vraiment la Seine.
Il y a les bateaux mouches : ceux qui font leur manœuvres de demi tour comme un compa sur une feuille ; les « boats people » avec terrasses découvertes d’où partent les flashes des appareils photos ; les beaucoup plus chics avec vitres panoramiques et nappes blanches.
Il y a les zodiacs de la police fluviale, noirs et rapides, on a toujours l’impression que James Bond est à bord, ça file vite et tout droit.
Cet été j’ai même observé un banc d’hommes grenouilles, tout de noir vêtus, en exercice apparemment. Je n’ai aucune idée de l’ordre qu’il faut maintenir ou de ce qu’il y a à protéger au milieu du fleuve.
Il y a la petite vedette grise avec drapeau français : c’est celle du Ministère des Finances, il parait que cela permet au Ministre de se rendre à l’Assemblée Nationale en évitant tous les bouchons. J’imagine Christine Lagarde avec son gilet de sauvetage sur son tailleur chic.
Au milieu, comme un troupeau d’éléphants calme et imposant, passent les péniches, barges et pousseurs, chargés à ras bord de sable, charbon ou autres denrées.
Mes convois et équipages préférés sont les verts et blancs, of course.
On distingue quelquefois un petit voilier ou un mini bateau moteur, tout droit sorti du port du canal de l’Arsenal.
Le fleuve sert aussi de voie de transport public, beaucoup mieux que le métro ou le bus pour aller au bureau, comble de la boboïtude parisienne.
Sur les berges, le spectacle continu.
Paris est une plage : aux beaux jours il y a des acharnés de la bronzette qui passent leur journée au soleil en maillot, en plein Paris (zone hors Paris Plage je précise).
La garde Républicaine fait sa ronde à cheval sur les quais, entre le Jardin des Plantes et Jussieu. Là aussi il doit y avoir un impératif sécuritaire primordial mais qui m’échappe quand même. En hiver, leurs montures portent des couvres-rein jaunes fluo, quel manque de goût.
Parfois j’ai l’impression d’être au bord de la mer : selon la lumière et les reflets, la Seine est bleue, on a presque envie de plonger dedans. Elle brille, elle devient rose avec le soleil couchant. La nuit elle se teinte de mystère, long ruban noir illuminé de lumières.
Incontestablement, elle me repose et elle m’inspire.
Mais qu’est ce qu’elle glande pour avoir le temps d’observer tout ça ?
Oui c’est vrai, je n'ai rien d’autre à faire que de contempler la source d’inspiration de tant de poètes, écrivains, peintres, réalisateurs, chanteurs ou autres artistes ?
Si, malheureusement, j’ai d’autres choses à faire.
Mais lorsque je quitterai les lieux, je sais déjà que toutes ces choses me manqueront beaucoup moins que de regarder couler la Seine."