Sale année à tous !
Il y a comme une énorme hypocrisie à souhaiter une bonne année aux salariés que je croise ce matin.
Ils connaissent les difficultés actuelles de l’entreprise mais n’ont pas été informés de la très mauvaise nouvelle d’avant Noël : sur les deux repreneurs potentiels, le premier a déclaré jeter l’éponge, le deuxième a considéré qu’il était préférable (pour lui sans doute) d’attendre le dépôt de bilan pour formuler son offre de reprise. Nous ne sommes pas tout à fait assez morts pour intéresser le vautour.
Le grand boss (même si arrivé depuis peu pour essayer de trouver une solution et dit « de transition ») a voulu nous épargner aussi : il a appris la nouvelle par SMS, au cours d’un déjeuner d’équipe organisé pour fêter la fin d’année. Il n’a pas voulu casser l’ambiance plutôt conviviale, il a fait bonne figure et a bu un verre de plus. Il s’est résolu à nous dire cette vérité pesante juste avant le départ en congé, par honnêteté ou comme on confie un secret pour se soulager. Il n’a pas manqué de nous conseiller de ne pas trop y penser, de profiter de nos proches et de reprendre des forces avant le mois de janvier qui s’annonçait… mal.
Je ne sais pas si c’était l’ambiance des fêtes ou l’usure de ces derniers mois mais les réactions au sein de l’équipe de direction ont été variées avec le point commun d’une sorte d’anesthésie collective. J’ai vu dans les regards de la détresse, une certaine dose de refus d’y croire, du soulagement parfois. Un peu comme lors de l’annonce d’un décès, chacun réagissant avec ses forces et ses faiblesses.
La période de recherche de repreneurs puis de leurs audits respectifs nous a largement divisé : les camps sont apparus, la défense des intérêts personnels, les petits arrangements entre amis aussi. Nous avions tous la même mission : rendre la mariée plus belle. Le refus de ceux que nous cherchions à séduire n’est qu’une preuve supplémentaire de notre échec passé : même pour pas grand-chose, personne ne veut de cette entreprise. Au-delà de l’échec, subsiste la division, les mauvais mots et quelques rancœurs personnelles.
J’ai le sentiment d’être au bord du précipice, de faire face au vide : comment gérer cette situation complètement inconnue de moi ? Après avoir découvert et m’être acclimatée - non sans mal - au monde de la PME, j’ai l’impression que la rencontre avec son corollaire, le dépôt de bilan, est inévitable.
Il va falloir sauter du grand plongeon, porter l’armure et le gilet par balle. Je n’ai pas signé pour cela, je le sais d’avance. La sale année, pour moi, c’est maintenant.